[ Mission ] Filature [ PV Blue March ]

« - Vous promettez de venir à bout de cette enquête ?
- Je promets d’faire d’mon mieux.
- Vous m’avez l’air peu confiante.
- Et vous particulièrement casse-burnes, grommela la louve. Je vais suivre votre femme et il va falloir me faire confiance. »

Elle était sur le point de lui jeter d’autres paroles acides au visage mais elle s’était retenue. 13 était tombée sur la mission à Kinô quelques jours plus tôt. Une mise de 100 pièces d’or pour prendre ne femme en filature, rien de plus facile. La louve s’était déplacée jusqu’à Alberich pour rencontrer cet homme odieux au caractère bien trempé et au regard courroucé. La détective s’était retenue pour ne pas lui briser un os. Elle comprenait pourquoi sa femme voyait quelqu’un dans son dos mais elle n’était pas ici pour compatir et c’était probablement ce que l’homme se disait. Dans son boulot de détective ou de cheffe d’escouade au Prisme, 13 avait un professionnalisme à toute épreuve malgré son tempérament de feu. On le voyait à son visage fermé et au ton neutre qu’elle employait, calculant chaque mouvement et chaque parole.


L’enquête démarra dès le petit matin. Lorsque la ville portuaire s’éveillait avec les rayons du soleil. Purple s’était directement présentée non loin de l’adresse du ronchon. Il ouvrit justement la porte peu après ses voisins qui partaient travailler. Sa femme sortit peu avant lui. Jolie blonde au visage rond et aux yeux bruns. Elle planta un baiser sur la joue de son grognon de mari avant de prendre la route avec enthousiasme. Personne n’était heureux de travailler, 13 le savait parfaitement. Elle attendit qu’elle effectue quelques mètres avant de la suivre.
La blonde traversa plusieurs rues, suivie de loin par 13 qui gardait les yeux rivés sur elle. En marchant, la louve avait pris soin de ranger son collier dans sa sacoche. On lui adressait des regards de travers avec ses vêtements en cuir. À moins que ce ne soit parce qu’elle osait le pantalon contrairement aux autres femmes. La cape sur ses épaules et sur sa tête dissimulait cependant ses attributs lupins. On n’était jamais assez prudents. Plusieurs fois on lui avait demandé si elle connaissait le roi ou si elle était une cousine de la princesse. La seule personne lui ayant fait remarquer son étrange ressemblance avec Mélian Lupus s’était fait égorger.

Le quartier gastronomique était l’endroit le plus concentré en périodes chaudes. Chaque marin, chaque touriste, chaque amateur de gastronomie échouait dans les environs. L’odeur du poisson cru était présente à chaque coin de rue et aux narines de 13, l’odeur était bien plus concentrée. Mieux encore, elle percevait chaque son : le tintement des ustensiles dans les restaurants, les marins matinaux prêts à boire dès le matin, les rires des serveuses aux courbes prononcées, les aboiements d’un chien, d’un chef de cuisine… Le tout mêlé aux sons extérieurs et aux pas des passants et travailleurs qui passaient dans le coin. Ce capharnaüm assaillie les oreilles de 13 qui dû prendre un moment avant de pouvoir s’en accommoder. Les rues se faisaient néanmoins de plus en plus fréquenter, si bien qu’elle fut forcée de presser le pas pour ne pas perdre la blonde de vue.
Mais elle parvint à échapper à sa vigilance.
13 pressa le pas au point de slalomer dangereusement entre les piétons, sauter au-dessus de leurs animaux de compagnie, ignorer les insultes qu’on lui lançait… pour tourner et trouver un cul-de-sac. Un cul-de-sac désert. Aucune porte, aucune fenêtre d’ouverte… 13 tenta même d’escalader le muret à plusieurs mètres qui donnait sur une autre rue mais elle ne tenta pas de passer de l’autre côté. Irritée, la louve sentit un grognement provenir du fond de sa gorge pour venir frapper une caisse vide au sol. Elle enfonça violemment son pied à plusieurs reprise et au rythme des jurons qu’elle proférait :

« - PUTAIN. DE. BORDEL. DE. MERDE ! »

Lorsqu’elle eut fini, 13 recula de quelques pas sans même vérifier si quelqu’un l’avait suivi ou non dans sa course. Si oui, cette personne aurait probablement reconnu – ou non, 13 avec ses oreilles animales et ses crocs serrés.

« - Rassures-toi, je ne t'ai pas suivi. J'étais de passage par ici pour le concours de pêche de cet après-midi, mais je crois bien que je ne gagnerais pas ahah. Je suis donc venu dans ce quartier pour quérir une bonne pitance. Mais maintenant que je me trouve en gente compagnie, que dirais-tu de manger un morceau, tu me raconteras ce qu'il t'arrive, ici des oreilles baladeuses peuvent se trouver proches. »

Léo était véritablement la dernière personne qu’elle s’attendait à voir ici. Il avait toujours cette nonchalance naturelle et rien de très menaçant… aux premiers abords. Si Léo était chef d’escouade, il devait être particulièrement redoutable. Cependant, 13 n’était ici ni pour l’affronter ni pour manger un morceau. Sur le point de répliquer sèchement par la négative – elle refusait beaucoup d’invitations mais surtout lorsqu’elle était en service, 13 se retint. Manger un morceau ?! Quelle heure était-il ? Son nez s’orienta en direction du ciel. Le soleil était haut dans le ciel.

« - Comment a-t-elle… »

Ses épaules se relâchèrent. La colère et la frustration crispaient ses épaules et ses mâchoires. Midi devait être passé et elle avait faim en plus d’être extrêmement fatiguée et dans une colère noire. Léo ne méritait pas de lui servir de punching ball. Pas aujourd’hui, tout du moins. Après un soupir, 13 remit sa capuche sur sa tête puis orienta son pas dans la direction de Léo. À sa hauteur, elle le dépassa en frôlant son épaule afin de sortir de cette ruelle qui allait probablement tomber en ruines si elle s’y attardait une petite minute de plus.

« - Allons manger, souffla-t-elle. Mais je choisis le restaurant. »

Le contrôle était un trait de famille – tout comme la perte de ce même contrôle.


Après la réponse de son collègue, 13 se fraya un passage dans la foule, Léo sur ses traces. Ils échouèrent bientôt dans une taverne. Du bois du sol au plafond, des couverts un poil cabossés mais surtout une odeur de poisson grillé qui mettait l’eau à la bouche de n’importe qui. 13 s’était laissée tombée sur une chaise en face de Léo. Elle prit d’abord le temps de commander un plat ainsi qu’une chope de bière. Une fois la serveuse éloignée, la louve observa Léo afin de lui expliquer ce qu’il voulait savoir :

« - Je suis sur une mission actuellement. Je devais prendre la femme d’un connard en filature mais je pense qu’elle m’a échappée. Tout ce que je sais, c’est qu’elle ne se rendait probablement pas à son travail aujourd’hui vu comment j’ai tourné en bourrique. »

À cette pensée, ses ongles s’enfoncèrent dans sa paume tant l’irritation la rongeait. Une autre inspiration puis son regard balayait la salle. Beaucoup de touristes, des marins un peu ivres, des amateurs de poissons mais pas de petite blonde. Où était-elle enfin ?!

« - Toi qui t’y connais en femme, lança-t-elle soudainement à Léo, comment se comporte une femme qui trompe son mari ? »

En parlant, elle avait jeté un regard en coin à l’incube. Elle ne lui parlait pas beaucoup mais connaissait sa nature véritable. À moins qu’il n’ait un penchant pour les hommes, Léo devait connaître un tant soi peu la gente féminine.

« - En effet, j'ai déjà séduit des femmes mariées pour combler mes besoins d'incube et je dois dire que ce n'est pas une chose compliquée. Les hommes de nos jours ne doivent plus savoir comment satisfaire leur conjointe. Si elle était infidèle à cet abruti, elle lui mentirait juste sur ce qu'elle a fait de sa journée et ses rendez-vous. Pourtant, ce que tu m'as raconté est louche. À mon avis, elle manigance autre chose que de l'adultère pour t'avoir semée comme ça, cette femme devait savoir que tu la suivais, ou bien elle couvre vraiment bien ses traces pour quelqu'un qui va juste tromper son mari. Je pense qu'il va falloir enquêter sur ses moindres faits et gestes et cette histoire a éveillé ma curiosité. Accepterais-tu ma compagnie pour cette enquête ? Rassure-toi, malgré ce que raconte ma réputation, je ne saute pas sur toutes les jolies demoiselles qui croisent ma route, c'est uniquement lorsque j'ai des besoins d'incubes mais ils ont été assouvis en arrivant à Alberich, tu n'as rien à craindre puis je pense que je risquerai plus de me prendre un coup bien placé, fit Léo en ricanant. Alors, duo ou pas ? »

D’après Léo, cette femme ne le trompait pas son mari mais que faisait-elle alors ? 13 réfléchissait tout en frottant son menton, assimilant les informations avec intérêt. Lorsqu’il enchaîna ensuite en la rassurant sur le fait qu’il ne lui ferait rien, 13 arqua un sourcil. Elle savait Léo incube mais savait aussi qu’elle ne le laisserait jamais poser ses mains sur elle d’une quelconque façon. Il avait de toute façon compris qu’une tentative lui vaudrait un non pas un coup de pied mais un coup de couteau bien placé. Sa question souleva ensuite un autre instant de réflexion.

« - Si ça peut m’aider à résoudre cette affaire, répondit la louve. Je te préviens, c’est une affaire sérieuse alors fais une croix sur ton après-midi à la pêche à moins de terminer à temps. Je t’offrirai probablement une partie de la récompense si tu m’es utile. »

13 cessa de parler lorsque la serveuse s’approcha d’eux pour déposer leurs commandes devant eux. Elle ne cessait de jeter des regards à Léo et ça se comprenait. Ce qui ne se comprenait pas, c’était les regards un peu moins emballés lorsqu’elle observait la louve. Une fois éloignée, 13 leva les yeux au ciel avant de reporter son regard hétérochrome sur Léo à qui elle tendit la main afin de sceller leur accord. Une simple poignée de main, pas un pacte de sang heureusement mais si Léo trahissait sa confiance, il comprendrait pourquoi 13 avait été désignée comme étant la toute première Purple.